Madagascar 1947: des cris, des témoignages et une prophétie

Au mois de janvier 1947, tout a été organisé pour un truquage systématique des élections. Le genre Ku Klux Klan ou SS d’avant l’avènement du nazisme est-il l’idéal de l’Union Française?

Madagascar 1947: des cris, des témoignages et une prophétie
© ANOM, élections législatives à Madagascar, 1946

2 juin 1946, des élections législatives à Madagascar.

Puis,

Pierre Kalck, administrateur colonial:

Au mois de janvier 1947, tout a été organisé pour un truquage systématique des élections. Or comme j’étais un très jeune administrateur et que je ne savais pas truquer les élections, le chef de province a pris l’initiative de m’adresser un télégramme qui me disait de procéder à un bourrage des urnes. Le procès de Madagascar de 1948 est dans l’histoire le type même du procès colonial, les procédures ont été sommaires, les règles fondamentales du droit ont été violées, tout a été absolument révoltant dans ce procès.

Me Henri Douzon, avocat du MDRM ou Mouvement Démocratique pour la Rénovation Malgache:

Si l’opinion publique métropolitaine n’est pas maintenant au courant sur ce qui se passe dans nos colonies, c’est à désespérer. Le genre Ku Klux Klan ou SS d’avant l’avènement du nazisme est-il l’idéal de l’Union Française?

Gisèle Rabesahala, secrétaire des avocats du MDRM:

Mon travail c’était de retaper toutes les dépositions, le déroulement de l’enquête et il y avait vraiment de quoi faire dresser les cheveux sur la tête. C’était horrible. Ils ont fait vraiment des choses inimaginables.

Jacques Rabemananjara, un des fondateurs du MDRM:

C’est ici [à Paris] que nous avons fondé le MDRM. L’ambiance était, je dirais même presque fervente parce que nous avons créé quelque chose, au fait, qui n’existait pas encore à Madagascar à l’époque. Comme on était colonie, il n’y avait pas la possibilité de fonder un parti. On a fait ce qu’on appelle les serments. Le serment du MDRM. Il y avait une espèce de cérémonie presque religieux en quelque sorte. Un verre d’eau dans lequel nous avons mis un petit morceau, une petite parcelle de la terre malgache, et on s’est donné ça, à chacun en disant voilà, fidélité à la terre malgache, l’amour de la patrie et l’amour des ancêtres. Nous étions là, en quelque sorte, presque envoûtés par la nostalgie du pays quoi. Voilà comment ça s’est passé. Devenir de plus en plus français tout en restant profondément malgaches, c’était ça notre devise.

Jean-Joseph Rabearivelo, poète, octobre 1933:

Il n’y a maintenant qu’une vérité : sans la Pôôôlitique, Madagascar serait le pays le plus calme et le plus heureux du monde. Eh oui ! s’il est bien vrai que le PC [Parti Communiste] nous veut du bien, qu’il cesse toute propagande chez nous et rappelle tous ses lieutenants ou fende l’oreille à ceux-ci ! On ne l’entendra pas de cette oreille — et ce pays est promis à toutes les calamités que provoquent toujours les ambitions personnelles.

Daniel de Coppet, fils de Jules Marcel de Coppet Haut-Commissaire de Madagascar de mars 1946 à décembre 1947:

J’était là au moment où il a fait son discours en descendant de l’avion, sur la place de Tananarive, sur la place de Zomà. Et il y avait déjà à ce moment-là, des manifestations pro-indépendantistes qui étaient très très très évidentes. Et mon père a pris conscience de cela très vite et il a très nettement fait comprendre au Ministère qu’il n’y avait qu’une chose à faire c’était de donner, selon les procédures à discuter, l’indépendance à la colonie malgache. Cette indépendance demandée à Paul Ramadier, le Président du Conseil [des ministres français], a été expressément refusée. Ramadier a dit: “Si vous demandez l’indépendance de Madagascar, le Ministère tombe, c’est-à-dire, l’Assemblée Nationale va le renverser. En conséquent, même si c’est ce qu’il faut faire, nous ne pouvons pas le faire.”

Paul Ramadier, Président du Conseil, mars 1947, Paris:

L’an dernier, le budget ordinaire s’est soldé encore par 111 milliards de déficit. Cette année-ci, nous voulons qu’il soit équilibré. Il le sera, mais soyez en sûr, vous en souffrirez. Nous allons vous vendre de l’essence à un prix qui vous paraîtra anormal. Nous procédons en ce moment à 50 000 suppressions d’emplois. Tout cela est dur. Tout cela dans une certaine mesure est injuste, mais c’est le salut et il n’y a pas d’autres voies que celle-là. Il faut périr ou vouloir. Accepter la souffrance, résister, tenir, ou bien consentir.

Albert Camus, écrivain, mai 1947:

Pourtant, le fait est là, clair et hideux comme la vérité; nous faisons dans ces cas-là [à Madagascar] ce que nous avons reproché aux Allemands de faire. Je sais bien qu’on nous en a donné l’explication. C’est que les rebelles malgaches, eux aussi, ont torturé des Français. Mais la lâcheté et le crime de l’adversaire n’excusent pas qu’on devienne lâche et criminel. En vérité, l’explication est ailleurs. Si les hitlériens ont appliqué à l’Europe les lois abjectes qui étaient les leurs, c’est qu’ils considéraient que leur race était supérieure et que la loi ne pouvait être la même pour les Allemands et pour les peuples esclaves. Si nous, Français, nous révoltions contre cette terreur, c’est que nous estimions que tous les Européens étaient égaux en droit et en dignité. Mais si, aujourd’hui, des Français apprennent sans révolte les méthodes que d’autres Français utilisent parfois envers des Algériens ou des Malgaches, c’est qu’ils vivent, de manière inconsciente, sur la certitude que nous sommes supérieurs en quelque manière à ces peuples et que le choix des moyens propres à illustrer cette supériorité importe peu.

Samuel Rakotondrabe, industriel, 1948 et Arnaud Beltrame, gendarme, 2018:

La patrie, avant la famille!

Général Henry Casseville, 1948:

Il est stupide de donner un droit de vote à des frères dont le sens humain est en retard de 2 000 ans au moins sur le nôtre.

Raymond William Rabemananjara, un des fondateurs du MDRM, 1953:

Ici, quelques difficultés surgirent entre la tendance ‘occidentale’ et la tendance ‘vieux malgache’. La première voulait imprimer au MDRM, un caractère jeune et accorder une place importante aux éléments féminins et ouvriers. Cette tendance préconisait également l’intégration des personnes d’origine malgache (métis) et des Français établis à Madagascar. La tendance ‘vieux malgache’, plus nettement influencée par les milieux locaux, étaient teintée de despotisme. Elle se différenciait par le rôle qu’elle prétendait accorder aux tenants et aux descendants des castes historiques imériniennes et provinciales.

Fahavalo, Madagascar 1947, de Marie-Clémence Paes, 2018:

Vous nous avez aidé contre les Allemands, alors on va vous donner l’indépendance. Il a dit ça de Gaulle.

Paul Fremigacci, historien, 2007:

Au début, ce parti [le PADESM, Parti des déshérités de Madagascar] a été porté par les militants communistes.

Jean-Luc Raharimanana, 2017:

Les figures connues de l’histoire, Rabemananjara, Ravoahangy, et dans une moindre mesure Raseta, ont toujours refusé d’endosser la responsabilité de cette insurrection, l’assimilant à un complot colonial destiné à mettre à bas le parti MDRM. Pour moi, il ne sert à rien de rendre un culte à la culture précoloniale, une société avance et se transforme toujours, mais il faut avoir la connaissance de cette culture, pour savoir d’où l’on vient, comment on peut avancer, que prendre, que laisser, que développer. Des hommes et des femmes ont été massacrés effroyablement alors même que la France coloniale se proposait d’amener les Lumières dans ces pays. Oublier fait partie du choix de la mémoire, mais on ne peut pas oublier tant qu’on ne le sait pas, tant qu’on n’a pas compris et pardonné. Parler de 47 amène forcément à cette question du pardon.

François Mitterrand, 1990:

Vous voulez finir comme Madagascar?

Les résultats des élections législatives de 1946:

  • Ravoahangy: 88,44%
  • Raseta: 52,83%
  • Rabemananjara: 68,99%
© Alban Ramiandrisoa-Ratsivalaka, bande dessinée Vato Ambany Riana, page 48
© Alban Ramiandrisoa-Ratsivalaka, bande dessinée Vato Ambany Riana, page 48

En 1947, on a massacré des gens. Beaucoup de gens.

Mais en 1947, on a aussi massacré une Démocratie. Une Démocratie naissante certes, mais une Démocratie quand même.

Et après 1947, on a oublié tout ça. Pratiquement. Ce qui n’est pas pire mais ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas mieux non plus.

Jerry Seinfeld, en mode j’incarne l’espoir

Nota Bene:

Les Allemands ont colonisé une grande partie de l’Europe, ont massacré beaucoup de monde, dont des Français, dont des Juifs. Ce n’est pas pour autant que les Français et les Juifs crient vengeance contre l’Allemagne et les Allemands chaque jour que Dieu fait. Bien au contraire, ils bâtissent le présent et l’avenir main dans la main et ce, depuis bien longtemps. Quelque chose à garder en tête en pensant à 1947…

Sources:


Article publié une première fois sur ma page sur la plateforme Medium, et republié ici, presque tel quel—cette fois-ci.

Une traduction en malgache de cet article serait probablement fort utile; je l'ai déjà partiellement traduit et partagé en tant que post sur ma page Facebook. Ah oui, la voici—la traduction en malgache:
👇
https://blog.mosenjo.xyz/madagasikara-1947-medium-mg/